Anne-Flore Marxer interview, Part 1.

Un autre de ses caractéristiques est de militer fortement pour la cause des filles dans le snowboard. Cette interview se déroulera donc en deux parties : dans cette première partie, nous parlerons "filles dans le snow", fédés, compétitions, argent... tandis que dans la seconde partie - à suivre la semaine prochaine - nous parlerons plus de son parcours personnel... Attention, c'est parti.

Tu ne veux pas dire ton âge ?
Victoria Jealouse n’a jamais donné son âge, elle avait trop raison ! C’est un peu bizarre mais c’est vrai que dans le snowboard tu te fais virer super vite ! Moi j’ai 27 ans et apparemment quand tu en a 30 tu te fais virer de chez tout le monde, donc voilà on verra bien, haha !

Première question, simple mais qui soulève parfois les débats. De quelle nationalité es-tu ?
J’en ai trois, tu choisis celle que tu veux ! Je suis Française, Liechtensteinoise et mes parents ont récupéré la nationalité Suisse quand j’avais 15 ans donc j’ai trois passeports. Mais bon, je suis Française.

Tu es présentée comme Franco-suisse sur le Freeride World Tour, si tu devais aller aux Jeux Olympiques, tu choisirais quelle nationalité ?
Dans nos sports, les fédérations ne sont jamais là pour nous supporter. En tout cas moi elles ne m’ont jamais aidé, ni d’un côté ni de l’autre. On n’a même pas accès à tous les trucs de base, comme le statut d’athlète sportif de haut niveau ; même pour aller dans les CERS c'est compliqué. Par contre, quand tu fais des compètes, il faudrait que tu leur fasses de la pub ? Au final les J.O. sont une espèce de course aux drapeaux, plus qu'aux performances des athlètes. Je trouve que ça pourri un peu le sport.

La fédération suisse de snow a plutôt bonne réputation pourtant ?
J’ai toujours fait du snowboard en France : j’ai commencé à faire du snowboard à Samoëns, donc je ne sais pas trop. Du côté suisse, je ne peux te dire que ce que j’en ai entendu : si tu n’es pas Suisse-Allemand...

C’est plus dur ?
Ils sont bien mais bon… Pour en revenir aux fédés, la raison pour laquelle je fais du snowboard est justement parce que c’est un sport qui ne passe pas forcément par des compètes super rigides et des fédé. Donc les J.O. il y a les pour, il y a les contres, des choses vachement bien et des choses vraiment nulles.

Donc tu irais, ou tu n’irais pas ? Concrètement demain on t’appelle en te disant d’y aller…
Mais pourquoi j’irais ? Et imagine avec un passeport Liechtensteinois... j’aurais toujours pu aller aux JO. Mais il faut que tu montes ta fédération, que tu te bouges le cul pour aller faire les compètes FIS... Mais les Jeux Olympiques n’ont jamais fait partie de mes rêves. 

La raison pour laquelle j'ai commencé le snowboard, c’est qu'il y avait plein de vidéo parts qui me faisaient vraiment rêver. C’est ce côté hors-piste en montagne, avec la poudreuse, le freestyle, le lifestyle et tout ce qui est hors compétition qui me plaisait. Aujourd’hui tu ne peux pas être pro en snowboard sans passer par un grand bout de compétition, qui ensuite peut éventuellement déboucher sur du filming si tu as de la chance et si tu es soutenu par tes sponsors. Quand j’ai commencé, nous les filles, on n’avait pas le droit de faire des compètes, il faut déjà savoir ça ! J’ai fait des compètes où je ridais contre les gars, et où, quand tu gagnes un t-shirt, le gars il gagne un voyage à HawaÏ. Ce n’est pas très motivant. 

Pareil avec le Burton European Open : on était là pour rider le slopestyle, sauf qu’on a pas eu le droit, ils nous ont jeté en nous disant « le slopestyle, c’est trop dangereux pour les filles ».

Maintenant justement, le Burton European Open est connu pour avoir le même prize money, et les mêmes lignes pour les gars que pour les filles.
Oui, c'est vrai. Pour l’histoire du prize money, c’était il y a dix ans : Drew (Stevenson) faisait plein de choses pour le TTR et il m’a toujours vraiment aidé. Il nous poussait parce qu’on ridait fort sur les démos mais, au final, il n’y avait rien pour nous. Drew et moi étions colocataires pendant quelques années, au moment où ils écrivaient les règles du TTR. Donc tous les soirs, il y avait les grosses discussions : prize money, comment il allaient faire avec les filles etc... Je n’ai pas lâché Drew ! C’était super intéressant parce que il me rapportait les arguments que lui donnaient ceux qui n'en avaient rien à battre des filles… Et puis moi derrière je lui donnais tous les arguments pour lui dire qu’il fallait avoir les mêmes prize money chez les filles et chez les gars ! Grâce à Drew, depuis l’année d’après, dans les règles du TTR, les gagnants du championnat du monde TTR femme et homme gagnent le même prize money. J’ai vraiment vu mon sport évoluer, depuis un moment où il n’y avait rien pour les filles et où l’on se faisait jeter comme des merdes à maintenant où il peut y avoir un même prize money pour les filles que pour les gars...



Sauf que la moitié des contests 6 étoiles, c’est des Air & Style qui ne sont pas ouverts aux filles.
Et voilà, ça c’est la merde ! Et c’est pour ça que tu me vois au Air & Style avec mes pétitions. À l’époque j’étais personne, je commençais à rider, mais j’ai vu qu’avec de bons arguments, quand tu proposes des choses intéressantes et que tu es motivée, tu peux faire changer les choses.

Il y à une vraie différence de niveau, est-ce que ça t’enrage quand on dit que les filles rident moins fort dans le pipe, qu’elles vont moins haut?
Donc ce serait normal qu’elles soient payées moins ?! Tu veux mes arguments ? Souvent les gars disent ça, je l’ai entendu 150 000 fois, l’histoire de « mais les filles sont moins fortes » !

Certaines rident fort, Kelly Clark en pipe, Jamie Anderson en slope...
Mais il n’y a pas qu’elles ! Il y avait Nicola Thost et il y a eu plein de filles avant qui ont tout déchiré et qui ont vraiment fait changer le sport. Mais à l’époque le problème c’était que quand il y en avait une, c’était l’exception, et du coup c’était normal que toutes les autres soient traitées comme de la merde. Et ça, ça a vraiment changé, un peu à ma génération notamment avec toute l’équipe Roshambo… C’était plus aux US, j’ai beaucoup ridé là-bas, et d’un seul coup, il n’y avait plus qu’une seule fille qui ridait bien, il y en avait dix. Maintenant quand tu vas aux XGames et que tu regardes les filles qui sont au départ du slopestyle, il y en a vingt et franchement elles sont toutes super fortes.

Dans l'absolu oui, elles sont très fortes... mais le soucis c’est plutôt la comparaison qu’il peut y avoir entre le niveau des hommes et des femmes.
C’est quelque chose qui est complètement incomparable, car il faudrait aussi comparer les moyens donnés pour progresser. Ça fait des années qu’il y a des gars qui sont payés une fortune, le côté financier est aussi super important. Au fond, ça coûte à tout le monde le même prix de se déplacer sur un contest et de suivre le tour. C’était l'un des arguments présentés au TTR : permettre aux filles de suivre le tour en leur donnant accès aux mêmes prizes money que les gars. Quand tu es une fille, tu prends les mêmes risques, les mêmes kickers etc… 

Du côté des gars, chaque marque va avoir une quinzaine de mecs dans leur team... et une fille seulement. Tout le monde dit « c’est tellement plus facile pour les filles, vous êtes moins nombreuses », mais il ne faut pas oublier que les marques soutiennent beaucoup moins de filles. Et elles gagnent beaucoup moins d’argent. Dès le départ, si tu n’as pas des sponsors qui t’aident pour aller dans des stations où il y a de bons parks, tu galères. C’est la même chose quand tu veux filmer, si tu veux une vidéo part en Alaska ce n’est pas un truc que tu obtiens en faisant un seul trip en Alaska, et c’est pas loin de 20 000€ LE trip donc c’est difficile... Ca prend vraiment du temps pour avoir des sponsors qui arrivent à te payer ce genre de trip, et tu n’auras de toutes façons pas autant de moyens que les gars. Heureusement il y a Standard Films avec qui plein de filles filment et c’est cool. Mais pendant des années les film crew ne voulaient pas prendre de filles, elles ne pouvaient donc pas filmer ou elles filmaient entre elles dans les stations, avec un filmer qui les suivait...

D’où les premiers films 100% filles, entre autres ?
Oui, car du coup elles ont fait leur truc mais, mais les vidéos de filles n’ont pas de budget. Aujourd’hui quand tu veux faire un trip pour aller filmer et shooter, en tant que rider tu dois payer ton trip à toi, tu dois aider à payer le trip du photographe parce que le photographe ne gagne plus d’argent et en plus tu dois payer le filmeur. Donc si tu veux faire des trucs en Alaska, paye ta journée d’hélico ! 

LaLa Land (2007) , un des premiers films 100% filles avec Anne Flore dedans



Le côté financier ne pose t-il pas la question de savoir POURQUOI une marque sponsorise quelqu’un, que ce soit un mec ou une fille ? Au final le rider est sponsorisé pour faire vendre des produits. Qu’est-ce qui fait vendre les produits ?
Les marques se font autant de thunes à vendre des produits pour les filles qu’à vendre des produits pour les gars. Le marketing, c’est un pourcentage des ventes, et nous on fait tous partie du marketing, que ce soit les riders, les événements, les magazines, les sites internet… Si tu n’oublies pas ça, tu réalises qu’il devrait y avoir beaucoup plus d’argent réinjecté du côté des filles. 

Quand tu vas sur un rider, il y a quand même moins de pratiquantes que de pratiquants...
Ouai, mais elles achètent vachement plus. En ski, il y a 40% de femmes et 60% d’hommes, en snowboard c’est peut-être un poil plus... En Europe il y a vraiment moins de filles mais si tu vas aux US, il y a vraiment plus de filles, c’est aussi ça la différence. En voyageant tu vois comment ça se passe ailleurs aussi, et c’est vrai qu’en Europe ça reste difficile.

C’est un truc qui t’énerve les pubs avec des filles qui sont des mannequins, et non des rideuses ?
Beaucoup de marques vont dépenser une somme pour un mannequin pendant trois jours alors qu’elles pourraient payer une athlète à l’année… Alors que, pendant des années, les marques ont fait des pubs avec des hommes riders, et non mannequins. Forcément, ça construit l’image d’un rider, ça en fait une icône, qui va engendrer des ventes. Il y a des gens qui s’identifient à cette icône et qui vont acheter le produit par rapport à cette personne, alors que du côté des femmes, il y a très peu de femmes qui ont eu cet appui…



Tu en fais partie quand même, tu es un peu une icône.
Ouai mais il n’y en a pas eu beaucoup... Victoria Jealouse, Nicola Thost… En fait en tant que rider tu es payée en fonction du nombre de ventes que tu génères. Mais quand tu compares, un gars qui a eu dix ans de pubs avec cinq pubs chaque année, forcément il devient plus connu et il génère plus de ventes.

Tu ne crois pas qu’il y a des gens qui pourraient dire ça de toi ? En disant, "c’est normal qu’elle soit mise en avant parce que ça fait dix ans qu’elle est mise en avant", et comme il y a peu de place, au final tu cannibalise un peu le marché des filles.
Que je cannibalise ? C’est marrant parce que si tu regardes, je n’ai pas de sponsor board depuis 4 ans, Jamie Anderson n’a pas de sponsor board depuis 4 ans également, et tu en as encore plein : Ellery Hollingsworth et Chanelle Sladics non plus... Beaucoup de filles galèrent vraiment ! et là où elles galèrent le plus, c’est à trouver un sponsor du sport que l’on fait, un sponsor snowboard. Si tu rajoute à ca le problème des gros events en Europe...

Pourquoi il n’y a pas d’événement fille qui a vraiment percé?
Je ne sais pas, je sais qu’ils galèrent tous à avoir du budget. Le problème c’est que souvent les événements séparent les filles et les mecs. Je n’étais pas censé aller au Air & Style, il y a dix ans je voulais trop le rider, j’avais débarqué l’année après qu’ils aient arrêté les filles. Cheryl Maas s’est pointée avec une board à un moment ils ne l’ont pas laissés rider non plus. J’ai envoyé un mail à toutes les filles, elles étaient toutes motivées à rider l’évent. Alors avec ma pétition, je suis allé voir le gars qui l’organise pour lui dire d’arrêter de faire passer les filles à la trappe. Il m’a regardé de haut et m’a répondu qu’aucune fille n’oserait jamais rider ce kicker. Ça m’a fait rire, on en saute toute l’année des jumps dix fois plus fat que ça, les doigts dans le nez. Le truc c’est qu’il faut vraiment mettre les pieds dans le plat si tu veux que ça bouge, il faut se mobiliser et ça ne plaît pas toujours à tout le monde et ce n’est pas un rôle particulièrement chouette non plus, j’aimerais bien que ça coule de source.

Tu passes un peu pour la chieuse de service ?
Ouai... tu passes vite pour la chieuse de service ! Mais il faut savoir poser les bonnes questions... Au Air & Style, tu sauras que sur place, ils vendent autant de tickets à des filles qu’à des gars. En plus, ils vendent plus de t-shirts femmes que hommes sur place au stand Air & Style ! Alors comment se fait-il qu’ils ne laissent toujours pas les filles rider ? C’est pareil pour le freestyle.ch ! Cette année sur le freeride world tour tu hallucines, il y a vraiment un problème...

Est-ce que tu te considères comme féministe ?
Bien sûr ! Et je pense franchement que si une femme moderne n’est pas féministe, elle est dans la merde. Au final être féministe c’est juste vouloir la même chance et être traitée pareil, c'est juste ça.

Sur Fluofun on aimerait bien parler plus de filles, mais au final on a peu de contenu, les photographes n’ont pas de contenu.
Et en tant que fille tu ne trouves pas de photographe, ni de film crew. Franchement, je galère tout l’hiver, si je veux un photographe, il faut que je le convainque en lui payant la moitié du trip, et je dois déjà payer un filmeur parce que je ne trouve pas de film crew non plus. Alors tu vois, à un moment donné, je suis payée moins que les gars, et je dois débourser plus.

Tu avais quand même Vanessa Andrieux qui était avec toi pendant longtemps ? Vous faisiez une espèce de tandem.
Oui il y avait Vanessa, c’était cool... Le problème c’est qu’aujourd’hui les magazines ne payent plus les photographes, du coup on n'en trouve plus beaucoup avec qui shooter. Maintenant ce sont les marques qui payent tel ou tel photographe, et les riders de cette marque-là ont des parus, et c’est comme ça. C’est difficile pour les riders maintenant...