Anne-Flore Marxer interview, part 2.

"Au final ça fait réagir et c'est pas plus mal. Je ne veux surtout pas me plaindre de ma situation en particulier : j'ai déjà pu faire beaucoup plus, que d'autres. Quand on me lit dans la première partie, on ne voit pas à quel point j'aime rider, j'aime le snowboard, la poudreuse, repousser mes propres limites etc... c'est surtout ça que j'aimerai partager. Donc si ça pouvait ressortir plus dans la suite je serais contente." 

C'est parti pour la suite.

Internet c’est aussi un avantage pour les riders. Maintenant avec les caméras embarquées tu peux passer outre les problèmes de budget pour te faire repérer. Tu peux aller filmer et avoir de belles images et montrer que tu sais rider. C’est vraiment une bonne alternative au fait qu’il faut avoir des sponsors avec du budget pour pouvoir voyager et faire une vidéo part. Maintenant n’importe quel rider peut se faire connaître comme ça. C'est vraiment le meilleur conseil que tu peux donner à n’importe quel kid qui veut percer : allez vous filmer entre potes ! Tous les gros films crews ont commencé comme ça, c’était tous des gars qui filmaient entre eux et puis c’est devenu des grosses prods.

Tu regardes un peu tout ce qui se passe en ce moment ? Il y trois ou quatre riders qui t’impressionnent en ce moment ?
Je dois dire que je suis surtout impressionnée par Xavier de le Rue dont le ride se rapproche de l'alpinisme, mais aussi des riders comme Nicolas Muller pour qui n'importe quelle face se transforme en terrain de jeu. Cette année j'ai kiffé voir Kimmy et Cheryl tourner des doubles et la part de Lonnie Kauk avec de beaux spines et des kicks en bc. Il y a aussi les lignes de Sammy Luebke en caméra embarquée l'année dernière et bien sûr des rideuses comme Victoria Jealouse, Pauline Richon et Jenna Meyen. Mais ça va tellement vite aujourd’hui... tu demandes aux jeunes si elles ont un nom d’une fille qui a vraiment marqué l’histoire du snowboard en tête, la plupart n’ont jamais entendu parler de Nicole Angelrath par exemple. Ohlala mon dieu Nicole Angelrath ! Sept titres de championne du monde ! C’est la première fille qui a tout déchiré en snowboard et qui sur dix ans a tout gagné.

C’est peut-être un problème des médias dans le snowboard, ils donnent l’impression que pour faire du snowboard il faut forcément être un ado super fashion et être à la dernière mode.
Dans le milieu du surf, les athlètes qui ont marqué le sport et qui ont aidé à construire une marque, trouvent un job au sein des marques par la suite. C’est vraiment bien parce que du coup, l’esprit du sport ne se perd pas. Ce sont des gens qui comprennent la passion et qui partagent le même truc. Ils savent de quoi ils parlent et du coup l’esprit reste là, et c’est très précieux. C'est aussi pour ca que je suis super contente de rider pour une marque comme Billabong, les boss savent de quoi ils parlent et s’intéressent au sport. Sans ça, cela devient du sport comme n’importe quel autre.  Et puis en surf toujours les legendes ne disparaissent pas du jour au lendemain sous pretexte qu'ils ont passé la trentaine... certains snowboardeur se détachent du sport à force de ne voir que les new comers dans les magazines. Ils se sentent trop vieux pour le snowboard et se remettent au ski, c'est tragique, enfin surtout pour eux !

C’est quelque chose qui t’intéresserait de t’impliquer plus tard dans une marque?
Je ne sais pas, il y a beaucoup de choses à faire et j’ai déjà fait beaucoup. Je développe beaucoup de produits avec pas mal de mes sponsors, c’est quelque chose que j’aime beaucoup. Typiquement il y a dix ans, je ridais toujours des boards de gars parce qu’à ce moment-là, les marques venaient à peine de découvrir les produits pour femmes. Le problème c’est que les marques faisaient toutes des produits pour femme qui étaient des trucs de débutantes peints en rose, avec des papillons ! Quand j’ai commencé à avoir mon premier pro modèle chez Burton, la G-Twin, je participais a fond au développement du produit. A ce moment-là c’est vrai que les produits ont vraiment bien marché, parce que finalement, il y avait une vraie clientèle. Des filles qui rident et qui cherchent du matériel qui leur permet de progresser et de se faire plaisir, pas que de rester sur les pistes bleues.

Ils ont bien marché commercialement ?
Presque tous les produits sur lesquels j’ai bossé ont vraiment bien marché. Mais voilà je pense aussi que c’est parce que je fais des produits qui techniquement, tiennent la route. J’ai testé beaucoup de boards, à vraiment vouloir une board performante, adaptée à mon type de ride et niveau design avec des trucs qui me plaisaient. Finalement plein de filles qui avant achetaient et ridaient des boards de gars ont découvert qu’avoir une bonne board de fille, c’est vraiment mieux et plus adapté à notre morphologie (poids, taille, pointure). Je ride des grandes boards, et à l’heure actuelle je ne trouve pas de 158 pour femme sur le marché, même pour le park je ride une 156 et ça n'existe pas dans les shops.


Peut-être qu’il n’y a pas de marché pour des boards comme ça. Il n’y a pas cinquante filles qui rident comme toi.
Je ne suis pas tout à fait d’accord, en règle générale on met souvent les filles sur des toutes petites boards, mais c'est assez restreignant, surtout dans la poudreuse et quand tu veux prendre de la vitesse, ou sur de gros kickers. C'est mon problème puisque je ne trouve pas de board adaptée en shop. Du coup, comme je n'avais pas de sponsor board j'ai bossé sur une board en collaboration avec Nidecker, histoire de rider une board qui correspond à mon ride. Sur le même système qu'Antti Autti, Yes et Jones ou je touche des royalties sur les ventes en shop. Ce n'est pas un vrai soutient sponsor, mais au final je suis super contente d'avoir cette opportunité puisque je m’éclate sur la board, et je n'ai eu que des retours positifs de la part des autres rideuses. Rien que pour ça, je me dis que ça valait le coup.

Tu te vois où d’ici cinq à dix ans ?
Je ne sais pas, on verra bien. Dans cinq ans je serai encore en train de rider. Je ne suis pas du tout en reconversion, mais ça viendra bien à un moment. Pour le moment je ride, je m’éclate et je suis toujours sur des nouveaux projets. La vie est aussi une question d'opportunités, ou de créer ses opportunités ! Je vis au jour le jour et je profite, la vie est courte et il ne faut rien remettre a plus tard.

Tu dis que tu n’aimes pas trop les contests et au final tu as passé la saison 10/11 sur le freeride world tour, c’est assez paradoxal non ?
Je n’ai jamais aimé ça, je suis super nerveuse, je perds tous mes moyens et au final je ride comme une merde en contest. Ça me déçoit moi-même. Cette année c’était de la curiosité, je suis allée sur le freeride world tour complètement par hasard. A la base, je voulais me trouver un filmeur et ramener de bonnes images en backcountry. Sauf que je me suis éclaté la cheville le premier jour de shoot de la saison, je me suis pris un arbre sur un kicker en foret. Du coup je n’ai pas pu rider pendant un mois, j'avais reçu une invite sur la première étape du tour à Chamonix et comme j’étais encore en France et que je n'avais pas encore beaucoup ridé, je me suis dit que j’allais voir a quoi ça ressemblait. En plus j’avais plein de potes du team Swatch sur le tour, dont Xav'. J’y suis vraiment allée pour voir comment c’était et j’ai gagné le contest un peu malgré moi. Après ça je suis repartie au Canada direct. J’étais censée filmer là-bas, et puis je me suis posée des questions... Pour une fois est-ce que ça ne vaudrait pas le coup de voir ce que ça pouvait donner sur l’année ? Du coup, j’ai fait ça et je me suis re-blessée. Je devais re-filmer au mois de février et je me suis éclaté le genou, j’étais out pendant un mois. En fait à chaque contest c’était mes premiers jours de ride après une blessure et à chaque fois c’était avec une planche que je n’avais jamais ridée avant, j’étais complètement à l’arrache. En même temps c’était une bonne expérience pour moi de voyager avec le même crew, ça m’avait manqué finalement.

Comment as-tu fait pour gagner le world tour en revenant à chaque fois de blessure avec des nouvelles boards ? Est-ce que c’est que tu es vraiment super douée - ce qui est très probable - ou est-ce aussi le fait qu’il n’y avait pas vraiment de filles en face ?
Pourquoi aller faire des compètes de freeride quand tu es une fille ? Il n’y a pas de thune à gagner, tu payes pour participer (alors que les mecs sont logés-nourris) et même si tu gagnes, tu ne rentres pas dans tes frais. Pas de prize money, il ne faut pas aller chercher plus loin. Pour moi c’était plus pour voir ce que je pouvais atteindre sur tout un hiver.

Avoir le statut championne du monde, ça aide ?
Ça fait plaisir à ma grand mère, elle a mis un post-it dans sa cuisine « ma petite fille Anne-Flore est championne du monde de saut à ski » !